LIKAAT

C’est grâce au partenariat privilégié avec Brahim El Mazned que Titi Robin a pu réaliser de manière satisfaisante ce projet discographique marocain. Directeur artistique du festival berbère Timitar, créateur de Visa For Music, il est un pilier de l’action culturelle et musicale au Maroc et est en relation étroite avec plusieurs générations d’artistes éminents et reconnus ou émergents.

Titi souhaitait travailler avec une maison de production populaire, bien ancrée dans le réseau de distribution du pays, et c’est Ayouz Vision qui a été choisie. Le studio d’enregistrement était Studio Chtouka à Inezgan (banlieue d’Agadir).

Extrait du journal de bord de l’enregistrement (précédemment publié en blog):

« Le premier jour d’enregistrement, j’avais l’honneur d’inviter Lahcen Belmouden, le roi du ribab, le favori de beaucoup de chanteurs et chanteuses du Souss. Nous avons enregistré deux morceaux instrumentaux ensemble, en trio avec Mehdi Nassouli, jeune gnawi joueur de sintir (guembri) originaire de Taroudant, qui m’aidera énormément par sa présence tout au long de cette semaine de rencontres et deviendra les années suivantes un partenaire régulier, des tournées du spectacle Les Rives jusqu’à l’album Taziri. A l’origine, le premier instrument de Lahcen Belmouden a été la flûte qu’il jouait en gardant les troupeaux, ayant commencé sa vie comme jeune berger. (c’est pourquoi j’ai osé demander au rays du ribab un morceau où il souffle dans cet humble roseau, qui sera en réalité un tuyau de plomb percé pour l’usage ). On verra qu’il n’est pas le seul parmi mes invités à avoir testé sa musique dans la solitude face aux montagnes. Je me souviens que l’ingénieur du son qui a enregistré presque tous mes disques, Silvio Soave, et qui est donc responsable en partie du « son Titi Robin » sur disque, est le fils d’un maçon italien immigré en France qui avait lui aussi été berger au pays. Voilà mon université, voilà mes professeurs et collègues, cette grande et modeste école…

… Le deuxième jour nous a rejoint Cherifa Kersit, la chanteuse de ce Moyen Atlas cher à mon coeur car dans l’Ouest de la France d’où je viens, il y a beaucoup de fils et filles de familles originaires de cette région et j’ai été bercé par le chaâbi de la montagne. Demandez, à Angers,  à certains habitants de la Roseraie, de Monplaisir ou de Trélazé… Cherifa a la voix, la force et la dignité d’une grande dame, et elle a également fait ses classes en gardant les troupeaux sur les hauteurs zayani…

Cherifa, Titi, et Mohammed
Cherifa, Titi, et Mohammed Hadri qui travaille sur le texte du chant

… J’avais le choix entre le ‘oud, pour respecter le maqâm de Cherifa (avec le tempérament en quarts de ton) et le rubab. Cherifa m’a demandé de jouer ce dernier, qui ressemble au timbre du lotar qui accompagne sa voix habituellement. Nous avons parlé, échangé, joué, chanté, mangé ensemble aussi, puis convenu d’une structure harmonieuse mariant la poésie que je proposais, son propre chant, et les mélodies que je lui offrais. A la tombée de la nuit, nous avons enregistré cette suite musicale de dix minutes en une seule première prise, où elle a repris un de ses classiques. Des visiteurs sont passés au studio, apprenant que cette grande voix de Khénifra était de passage à Agadir. Et voilà que mes potes d’Agadir me charrient en me surnommant « Titi Rouicha …

« Regarde moi / Feuille de menthe / signe du ciel / amande amère / Regarde moi »

… Les deux jours suivants, c’est la nouvelle génération qui était à l’honneur, avec Foulane Bouhssine et Khalid El Berkaoui (qui défrayaient la chronique au Maroc avec leur groupe « Ribab Fusion ») et Mehdi Nassouli bien sûr. Mehdi et Foulane, avec leur forte personnalité, ont chacun interprété une chanson originale que je leur ai proposée. Le résultat m’a moi-même surpris et les deux musiciens ont apporté de riches idées d’arrangements.

« La princesse noire s’éveille à Tan Tan et s’endort à Dar Beida. Il est si facile de se souvenir mais impossible d’oublier. »

Cadeau du ciel, un invité de marque nous a rejoint par surprise, pour un morceau, le flûtiste Omar Eddaousse, qui va de droite à gauche, libre, au gré de ses humeurs, sans domicile fixe, et qui est un pur musicien voyageur, un modèle, à l’écart de toute mode et de toute carrière…

Rih ljanoub (le vent du sud) avec la flûte de Omar Eddaousse…

…Un jour plus tard, El Houssine Taousse est venu répéter et enregistrer. En réalité, cela faisait deux jours qu’il nous rendait visite, et on avait déjà échangé par rapport à la poésie qu’il chanterait. Il a préféré écrire lui-même dans son style, directement en tachelhit, en tenant compte du sujet que je proposais, l’accueil par un homme d’un ami cher qu’il retrouve après une longue séparation. Houssine a donc travaillé à son nouveau texte, et a appris au ribab deux mélodies que j’apportais, et que vous connaissez peut-être déjà (l’une provient du disque Kali Gadji mais elle est présente également sur la compilation Alezane, c’est « Salutations », et la seconde est « La terre, cet animal » du disque Kali Sultana). Dans ce nouveau titre que nous avons enregistré, il y a également, en plus du ribab de Houssine Taousse, celui de Foulane qui lui répond. Nous a rejoint le spécialiste du bendir à Agadir, qui participe à énormément de sessions d’enregistrement, et qui est un fidèle du Rays Taousse: Houssine Fadil…

 
 … Le jour suivant, l’ambiance est très très chaude, les Roudanyates sont dans la place. Ces femmes musiciennes de Taroudant, que vous pourriez prendre pour de sages et anonymes personnes, les croisant dans la rue couvertes de la tête au pied, sont des musiciennes et rythmiciennes endiablées et ont une énergie et un sens de la fête qui ne demande qu’une étincelle pour tout enflammer. Il y avait le risque pour cette rencontre de confronter un projet assez original à une pratique très traditionnelle (elles ne jouent d’habitude qu’entre elles, chantant et jouant elles-mêmes les percussions. Ici, il fallait enregistrer en studio avec des casques sur les oreilles, pour entendre la guitare et le sintir au milieu de leurs instruments et de leurs voix). Mais elles se sont montrées vraiment très ouvertes et désireuses de vivre cette nouvelle expérience de la manière la plus intense, avec une joie contagieuse. Mehdi Nassouli, qui est lui-même de Taroudant, a beaucoup oeuvré pour la réusssite de l’aventure. Tout le monde a commencé à chanter bien avant le début des répétitions, et ça a dansé pendant les écoutes des prises, dans la petite cabine d’écoute du studio Chtouka. En fait, ça donnait envie d’enregistrer tout un disque ensemble (pas seulement une chanson) et de partir en tournée aussitôt sur la route…

Pour cette dernière nuit, j’ai proposé aux comédiens Abdellatif Atif et Lahocine Bardawz (également scénariste) de lire deux poésies inclues dans le disque, mêlés à la musique, comme je l’avais fait avec Murad Ali Khan à Mumbai. Ils sont tous les deux de très populaires comédiens amazigh, et se déplacer dans les villages de montagne avec Atif engage à être interpelé tous les deux minutes pour des séances de photos, des remises de cadeau (une pleine bouteille d’huile d’argan maison, par exemple) ou des invitations à boire le thé à la maison. Et à chaque fois, il fait éclater de rire son auditoire car c’est un peu le « Mr Bean soussi », à moins que Mister Bean ne soit plutôt le Atif londonien…

Atif devant une affiche d’un des films berbères où il joue avec Bardawz

… Il nous restait à enregistrer la splendeur des choeurs berbères ahwach, ce style que l’on trouve dans les montagnes marocaines, et dont j’avais besoin pour l’ouverture du disque. Au petit matin, nous sommes partis et avons quitté la plaine d’Agadir pour les hauteurs de Tafraout. … Nous avons enregistré et filmé les chants ahwach, profité de l’air pur de la montagne, et sommes redescendus à la nuit vers Agadir, avec dans le bus les chants de Rouicha, le barde du Moyen-Atlas, qui sortaient des hauts-parleurs. Il me restera à mixer toute cette richesse musicale, pendant une semaine, à nouveau en studio. Ensuite, je rentrerai pour les fêtes à la maison, Incha Allah… Je suis impatient que le public marocain partage ces nouvelles chansons que nous avons créées ensemble, et qu’elle traversent ensuite notre mer commune, la méditerranée … Combien de thé à la menthe et de café j’ai avalé depuis hier midi? M’Hand m’en a servi d’autorité dès qu’il sentait que j’avais besoin d’un peu de « vitamines marocaines... Il y avait beaucoup de monde en studio, c’était un lieu de passage, d’amis, de musiciens, de comédiens, de scénaristes, … qui venaient aux nouvelles, il y avait l’amitié, le respect et l’attention. Du coup, j’ai décidé de présenter ceux qui ont leur part dans le succès d’un projet mais qui, bien qu’ indispensables, travaillent pourtant dans l’ombre: Brahim Aït Ounjjar est le cuisinier des sessions de travail d’Ayouz Vision, il accompagne les équipes qui partent dans les villages de montagnes tourner les scènes de film en langue tamazight (le tajine de poisson!). Slimane Attoug est monteur pour les films d’Ayouz Vision et assiste particulièrement Aziz Oussaih pour la production de notre disque. Il m’accompagne donc dans mes différents déplacements. Keltouma Bakrimi est journaliste à Radio Plus Agadir dans les trois langues tamazight, arabe et française. Très impliquée dans le monde de la culture au Maroc, elle a traduit les poèmes du français au tamazight ou au darija (arabe marocain) qui sont chantés ou lus dans ce disque. Renuka George, cinéaste indienne qui suit le projet des Rives dans son ensemble n’a pu, pour des raisons techniques, se rendre au Maroc. L’équipe des techniciens d’Ayouz Vision a pris le relais. Ces techniciens sont tous aussi musiciens et donc très impliqués dans une telle aventure. Au studio Chtouka, à Inezgane, il y avait deux ingénieurs du son, Hicham Sousson et Mohammed Elaourf, qui ont traversé en navigateurs téméraires cette semaine musicale agitée, avec des formations orchestrales différentes tous les jours et un projet artistique très différent des prises de son pour les disques des Rways (chanteurs berbères du Souss) qu’ils produisent habituellement (la production locale de musique amazigh est très importante ici, les poètes et poétesses chantent accompagnés des ribabs et ont une forte audience populaire). 

 

« Le laurier-rose est amer. Qui, jamais, en le mangeant, a trouvé qu’il était doux ? Je l’ai mangé pour mon ami. Je ne l’ai pas trouvé amer. »

Sidi Hammou (poète Chleuh du 16e siècle)

avec M’hand, le spécialiste du thé

MES INVITES DE CETTE SESSION A AGADIR

Le plus brillant représentant de la nouvelle génération du ribab soussi, Foulane Bouhssine, que j’avais rencontré avec son compère percussionniste Khalid El Berkaoui lors de la création « Tala » que nous avions jouée au Maroc (Timitar à Agadir) et en France (Les Escales de St Nazaire).

Cherifa Kersit est une très grande artiste du Moyen-Atlas, de la région de khénifra. Petite, elle commença à chanter comme bergère dans la montagne, puis dans les fêtes de village, et accompagna ensuite le célèbre joueur de lotar Rouicha . Elle est aujourd’hui une des personnalités les plus marquantes du style berbère « tamawayt ».

Lahcen Belmouden est depuis longtemps le joueur de ribab le plus recherché par les chanteurs et chanteuses traditionnels du souss, les Rways et Rayssates. Extrêmement discret et modeste, il bénéficie d’un grand respect auprès de ses collègues et du public.

 

Les Roudanyates sont à l’origine un groupe de femmes de Taroudant qui chantent en s’accompagnant aux percussions lors des évènements, gais ou tristes, religieux ou profanes, de la vie sociale de leur communauté. Elles se produisent maintenant également sur scène, avec beaucoup de succès. Leur énergie est proverbiale. Le Rays (poète chanteur s’accompagnant au ribab) el Houssine Taousse est actuellement extrêmement populaire dans le Sud du Maroc. Nous rejoindront également en studio deux musiciens incontournables de la scène locale: le percussionniste Houssine Fadil et le flûtiste Omar Eddaousse. Je souhaite également enregistrer au village de Tafraout les magnifiques chants collectifs Ahwach car j’aimerais en avoir un écho dans ces Rives marocaines.

 

« Aynna zrîrix ndemx fellasen » (Je poétise sur des choses que j’ai  vues.) Rays Mohamed  Albensir (Damsiri)

 « Aujourd’hui, comme hier, je me souviens,

je me souviens de « Friqs Bobo », de son vrai nom Abdellah Achbani,

bien sûr de « Diabolo », de son vrai nom Abdelkrim Sami,

et de notre groupe révolutionnaire « Johnny Michto »,

du Maroco Michto Blues, qu’on a joué d’abord en trio,

du quartier de la Roseraie, succursale de Beni Melal et Beni Ayat,

des frères et soeurs Arab et du bol de café au poivre de la maman,

des lectures de poésie lors des fêtes de l’AMF, des chorales d’enfants,

du regretté poète Laarbi Batma entouré des Nass el Ghiwane au Grand Théâtre d’Angers,

de LemChaheb, des disques du Marcel de Palestine, la voix du grand Darwich,

de l’ orchestre « Nao! », réunissant nos « communautés » respectives,

je me souviens que j’aimais bien visionner chez les potes les VHS de Wadi al Safi,

Je me souviens que la jeune et vive Najat A. chantait alors sans cesse « j’en ai marre! »,

Je me souviens du pur chaâbi chaloupé de « Bourgogne », venu de Dar Beida,

du fin mawwal de Karim que j’ accompagnais de mon taqsîm au bouzouq,

de notre voyage clandestin à Utrecht, en Hollande, pour jouer devant un public cent pour cent rifain,

de Mohammed Saint Michel, de Mohammed philosophe, de tous nos Mohammed, ….

de la première fois où j’ai entendu la beauté et la noblesse des voix de l’ahwach berbère,

des fêtes à Jean Vilar, des baptêmes et mariages, nos premières scènes et des tajines pruneaux-amandes,

de notre tube « Sara, reviens! » que certains fredonnent encore aujourd’hui,

du marché du samedi avec la famille Sami derrière son étal, le rendez-vous indispensable,

des discussions politiques enragées (la France a bien changé!),

de l’ombre salée des cheikhates,

du marché du dimanche,

de Akka et son lothar tremblant, de Rouicha, bien sûr,

du 504 à Monplaisir, en terrasse, des rouleaux de tissus au grenier,

de « Poste-Télégraphe-Téléphooone! »,

des chaussures et costumes échangées sur le parking du terrain de sport avant de « monter » à Paname,

je me souviens de ces jours passés où l’on rêvait beaucoup,

le temps a passé, la tendresse est restée,

je n’ai pas oublié, … »

Ces jours de 2010, à Agadir la soussi, en travaillant à ce nouveau disque, Titi renouait avec cette « jeunesse française » qui a marqué son parcours musical.

« Le marché aux musiciens »  par Titi Robin et Karim Sami « Diabolo » extrait du CD « Un ciel de cuivre » , basé sur le rythme chaâbi marocain. (2000-naïve)

 

Le Maroc est un pays au croisement des grandes cultures andalouses, berbères, africaines de l’Ouest et arabe, et c’est pourquoi les styles musicaux y sont nombreux et d’une si grande richesse. En France, pays que les fils et filles du Maroc ont contribué à construire, cette profusion esthétique est curieusement trop méconnue. Les styles présents dans le disque que je prépare actuellement seront ceux que j’ai eu le plaisir de fréquenter depuis ma jeunesse, principalement le chaâbi, la musique gnaoui et les styles berbères du Moyen-Atlas et du Souss, et qui ont leur part dans ma manière d’aborder la musique en général.

Titi Robin

Ecouter Likaat:

Le disque marocain original n’est plus disponible isolément. Il est par contre contenu  intégralement dans le coffret, le digipack, ou bien en téléchargement.

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Vous pouvez également venir rencontrer l’artiste après les concerts, et solliciter un disque dédicacé.